Elles ont gravé ces mots sur leur « Constitution ». Et, cette fois encore, elles leur ont donné tout leur sens ! Pour la deuxième année consécutive, un groupe de quinze lycéennes du bien nommé Her Voice est venu en Suisse expérimenter la coexistence au quotidien. Arabes et juives israéliennes, elles ont 16-17 ans et ont choisi d’écouter la voix de l’autre. Originaires de Haïfa, au nord du pays, ces jeunes filles ont vécu, loin du conflit, une expérience de vie communautaire. Durant ce séjour, inscrit dans un processus de rencontres échelonnées sur cinq mois, les participantes ont pu mesurer ce que représente la rencontre entre majorité et minorité de la population israélienne. Encadré par Olfat Haider et Sarki Golan, ce travail de connaissance et de reconnaissance de l’autre à travers leur identité féminine et nationale, s’est poursuivi dans la région du Trient en Valais et à Lausanne.
C’est un groupe de jeunes filles curieuses, drôles et créatives qui ont partagé quelques jours de vie ensemble à Trient, dans le chalet prêté avec générosité par Béatrice Giovanoli et Alexis Mozer. La météo radieuse leur a permis d’effectuer des balades en montagne, toujours ponctuées de sessions de dialogue. Véhiculées par les bus mis à disposition comme chaque année par la Protection Civile d’Yverdon et conduits par des chauffeurs d’une patience exemplaire, elles sont redescendues en plaine, où elles ont été accueillies par paires dans des familles lausannoises. Une escapade à Genève leur a fait découvrir le Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et les délices d’une traversée de la rade en mouette après un repas aux Bains des Pâquis. Le dernier jour, elles ont assisté à une présentation de Germaine Muller, conseillère municipale de Bussigny, sur la vie politique suisse et rencontré Léonore Porchet, conseillère communale et présidente des Verts lausannois. La soirée finale leur a donné l’occasion de faire la démonstration de leurs talents de musiciennes et de danseuses.
Olfat Haider et Sarki Golan, leurs facilitatrices, étaient très satisfaites du travail mené au sein du groupe et très reconnaissantes envers les bénévoles de l’association et les familles d’accueil qui ont ouvert leur porte pour accueillir ces jeunes filles. La famille Bornand, qui hébergeait deux d’entre elles témoigne de cette expérience :
À leur arrivée, il n’a fallu que quelques minutes pour comprendre que nous allions vivre des rencontres importantes. Celles qui sont tout de suite devenues « nos » deux filles étaient motivées, intelligentes, préparées. Et pleines de joie de vivre.
Même si ce n’était pas notre rôle premier, cet élan favorable nous a permis de partager rapidement avec elles et d’évoquer l’inextricable complexité de leur pays. L’une est israélienne, d’une famille juive libérale. Engagée avec enthousiasme dans le scoutisme, elle devra sous peu endosser un autre uniforme, celui de militaire. L’autre est une chrétienne arabe, de nationalité israélienne également. À 17 ans, elle imagine déjà quitter le pays pour pouvoir réaliser son rêve de vivre de la danse.
La jeune fille arabe a été scolarisée en hébreu. Elle est donc parfaitement bilingue et son anglais lui permet en plus de communiquer suffisamment. La jeune fille juive a vécu d’abord aux États-Unis, son anglais est parfait, mais elle ne connaît pas un mot d’arabe. Premier décalage étonnant dans ce projet de dialogue. Mais nous comprenons vite que cela leur est parfaitement naturel.
Ce qui nous a le plus frappé, c’est que leurs conversations sur la situation de leur – faut-il dire leurs ? – pays est terriblement lacunaire à toutes les deux. Nous avons pu leur expliquer un peu la situation des Palestiniens en territoires occupés. En effet, Eric s’est engagé en 2013 dans un programme d’observation des droits de l’homme. Pendant trois mois, il avait découvert la situation des habitants de Bethléem et vu les effets du mur de séparation/protection…
Du coup, dans nos conversations avec les jeunes filles, les détours par l’histoire suisse sortaient du folklore ordinaire et nous permettaient de mesurer nos privilèges. La paix depuis des siècles, la démocratie directe, la liberté religieuse… tant de thèmes qui faisaient finalement monter les larmes aux yeux en réalisant que les évidences des uns sont des idéaux trop éloignés pour les autres.
Par ailleurs, le projet d’aider au « dialogue israélo-palestinien » nous paraît mal formulé, en tout cas pour l’expérience à laquelle nous avons participé. Au sens strict, ce groupe de jeunes filles de Haïfa a contribué à faciliter une discussion à l’interne de la nation Israël, mais sans devoir affronter véritablement la question du partage de la terre.
D’où finalement notre attention portée au pluriel de « Coexistences ». Ce n’est pas seulement un dialogue entre deux partenaires qu’il faut chercher. Il y a de la coexistence à construire ici, tant nos visions du travail à accomplir peuvent diverger. Et surtout, pour un dialogue véritablement « israélo-palestinien », il faudrait aussi, nous semble-t-il, un troisième partenaire arabe venant des territoires / de Cisjordanie. »
Eric et Claire Bornand, Puidoux